Un exemple de pseudoscience: La maladie de Lyme chronique

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Cet article est tiré du magazine Le Spécialiste de juin 2017. Il est reproduit ici avec la permission expresse de l’éditeur, Fédération des médecins spécialistes du Québec. Le magazine peut être consulté au fmsq.org.

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Par J. Marc Girard, M.D., FRCPC*

Quoiqu’en disent certains hommes politiques américains, les changements climatiques sont bel et bien réels et entraînent des conséquences que nous pouvons tous constater. Ce réchauffement provoque dans les écosystèmes des bouleversements qui favorisent l’arrivée d’infections auparavant inconnues.

L’émergence chikungunya, du Zika et de la dengue sur territoire nord-américain en est certes une conséquence importante.

Ainsi, il est indéniable que le Canada et tout particulièrement le Québec seront de plus en plus touchés par les bactéries de type Borrelia qui sont responsables de la maladie de Lyme. Il est essentiel que le corps médical soit mieux informé sur cette maladie, surtout sur sa forme aiguë, qui se caractérise par des signes et symptômes qui lui sont propres. Un traitement antibiotique simple permet un contrôle rapide de la maladie dans sa phase aiguë.

Depuis quelques années, nous assistons à l’émergence d’un mouvement qui défend le concept de maladie de Lyme chronique. Ce mouvement, qui a pris ses origines aux États-Unis, prétend que les Borrelia peuvent causer une infection chronique avec de multiples manifestations systémiques, qu’elles peuvent s’associer à d’autres bactéries, que les tests sérologiques utilisés au Canada pour en permettre le diagnostic sont inadéquats et que l’infection doit être traitée avec des combinaisons antibiotiques administrées à long terme.

Ce lobby s’est fait connaître au Québec par la publication d’articles dans les journaux ou d’avis dans les médias électroniques. Il y répète constamment que les médecins québécois sont incompétents pour identifier et traiter la maladie de Lyme et que les personnes atteintes sont forcées de se rendre aux États-Unis pour y recevoir des traitements appropriés, mais coûteux.

Le travail de ce groupe de pression a entraîné l’adoption en 2014 du projet de loi C-442, Loi concernant le cadre fédéral relatif à la maladie de Lyme [1], proposé par la chef du Parti vert, madame Elizabeth May. Cette loi a conduit à une ronde de consultations, puis à un sommet qui s’est tenu à Ottawa en mai 2016 et dont nous attendons toujours les conclusions.

Or, contrairement à ce que laisse entendre ce lobby, les données scientifiques factuelles ne soutiennent pas leurs prétentions quant à l’existence d’une forme chronique de la maladie de Lyme. Ainsi, le guide de diagnostic publié par l’International Lyme and Associated Diseases Society (ILADS) comprend de nombreux symptômes non spécifiques qui ne permettent pas, contrairement à ce qui en est pour la forme aiguë, de poser un diagnostic clinique.

Les tenants de la forme chronique de la maladie basent entièrement leur diagnostic sur la positivité de tests de dépistage privés offerts aux États-Unis et considérés par le lobby comme plus fiables que ceux qui sont faits au Canada. Pourtant, les tests de dépistage officiels recommandés par les Centers for Disease Control (CDC) américains sont les mêmes que ceux qui sont utilisés au Canada!

De fait, les tests américains préconisés par ILADS sont offerts par des laboratoires indépendants qui sont réputés non pas pour faire des tests plus sensibles, mais plutôt pour avoir un taux élevé de faux-positifs pouvant aller jusqu’à 57 % [2]. Les CDC ne reconnaissent pas la valeur de ces tests pour poser le diagnostic de maladie de Lyme et se proposent même dans les prochaines années de vérifier la qualité des laboratoires qui les offrent [3].

Par ailleurs, les traitements antibiotiques prolongés qui sont proposés par les médecins défendant la forme chronique de la maladie ne reposent sur aucune preuve scientifique. Déjà, en 2001, deux études randomisées menées auprès de patients souffrant de fatigue chronique après avoir été atteints de la forme aiguë de la maladie de Lyme n’ont montré aucune supériorité sur le placebo après l’administration prolongée d’antibiotiques [4].

En 2016, une étude néerlandaise en arrivait aux mêmes conclusions dans le cas d’une population de patients présentant des symptômes non spécifiques et une sérologie positive pour la maladie de Lyme [5]. Les médecins qui offrent ce traitement exposent donc leurs patients à des risques indus pour leur santé sans que ces derniers en tirent un véritable avantage.

Nous reconnaissons que les personnes qui revendiquent un diagnostic de maladie de Lyme chronique ont de réelles souffrances physiques. Par contre, nous doutons d’un tel diagnostic en raison de la non-fiabilité scientifique des méthodes utilisées pour le confirmer.

Plusieurs de ces personnes souffrent probablement de certaines conditions, comme le syndrome de fatigue chronique ou la fibromyalgie, deux conditions réelles et fréquentes pour lesquelles il n’existe toujours pas de biomarqueurs permettant d’en confirmer le diagnostic ni de traitement.

Nous sommes aussi fort inquiets devant l’augmentation du nombre de personnes atteintes d’autres conditions bien étayées, comme la sclérose en plaques, et qui remettent en question leur diagnostic ainsi que leur traitement sur la foi de tests de dépistage de la maladie de Lyme qui sont faussement positifs.

Le lobby qui défend la notion de maladie de Lyme chronique prétend non seulement que les médecins québécois n’ont pas les compétences pour les prendre en charge, mais qu’en plus, ils pourraient subir des représailles s’ils offraient les traitements. Dans le code de déontologie du Collège des médecins du Québec, il existe effectivement des dispositions concernant des conditions de santé non confirmées de manière scientifique:

  • Art. 47. Le médecin doit s’abstenir de faire des omissions, des manœuvres ou des actes intempestifs ou contraires aux données actuelles de la science médicale.
  • Art. 48. Le médecin doit s’abstenir d’avoir recours à des examens, investigations ou traitements insuffisamment éprouvés, sauf dans le cadre d’un projet de recherche et dans un milieu scientifique reconnu.
  • Art. 49. Le médecin doit, à l’égard d’un patient qui veut recourir à des traitements insuffisamment éprouvés, l’informer du manque de preuves scientifiques relativement à de tels traitements, des risques ou inconvénients qui pourraient en découler, ainsi que des avantages que lui procureraient des soins usuels, le cas échéant [6].

Ces trois articles ont pour objectif de protéger la population québécoise contre des actes non médicalement reconnus. Si les tests et les traitements que demandent les personnes se disant atteintes de la maladie de Lyme ne sont pas offerts au Québec, ce n’est pas parce que les médecins québécois sont incompétents ou mal formés, mais plutôt parce qu’ils offrent une médecine de qualité répondant à des critères scientifiquement reconnus, et ce, au bénéfice de toute la population.

Finalement, il est aussi faux de prétendre que la maladie de Lyme chronique est reconnue et traitée globalement aux États-Unis. Les recommandations de l’ILADS sont en effet contestées par l’Infectious Diseases Society of America, société regroupant les médecins et scientifiques intéressés par les maladies infectieuses aux États-Unis. Cette société a émis des lignes directrices en 2006, confirmées en 2009, qui ne reconnaissent pas le diagnostic ni l’antibiothérapie pour la forme chronique de la maladie de Lyme [7].

En mai 2016, certains de nos collègues microbiologistes québécois, dont Karl Weiss, président de l’Association des médecins microbiologistes-infectiologues du Québec, sonnaient l’alarme en signant une lettre d’opinion intitulée Maladie de Lyme: le nouveau bastion de l’antiscience [8]. Ce dossier est un remarquable exemple de la place importante que devra dorénavant prendre la science dans le débat public.

* L’auteur est neurologue au Centre hospitalier de l’Université de Montréal et secrétaire du conseil d’administration de la FMSQ.

 

Références

  1. Canada. Loi concernant le cadre fédératif à la maladie de Lyme, chapitre 37, 2e session, 42e législature, 62-62 Elizabeth II, 2013-2014, sanctionnée le 16 décembre 2014.
  2. Gregson D et al. Lyme disease: How reliable are serologic results? CMAJ 2015 nov 3 ;187(16):1193-4.
  3. Associated Press. Outbreaks: Imperfect test fuels alternative treatments fore disease, Fox News Health, 2015 août 17.
  4. Klempner M et al. Two controlled trials of antibiotic treatment in patients with persistent symptoms and a history of Lyme Disease. N Engl J Med 2001;345(2):85-92
  5. Berende A et al. Randomized trial of longer-term therapy for symptoms attributed to Lyme disease. N Engl J Med 2016 ;374:1209-20
  6. Collège des médecins du Québec. Code de déontologie des médecins, LRQ, c. C-26, a. 87.
  7. Infectious Diseases Society of America. Arlington (VA): IDSA; 2017. Lyme Disease.
  8. Carignan A, Weiss K, et al. Maladie de Lyme: le nouveau bastion de l’antiscience. La Presse+ 2016 mai 20; section Débats, écran 7.